Les jeux mobiles pour les enfants présentent des mécanismes pernicieux et une «gamblification» inquiétante, selon une chercheuse de l’UQÀM.
Les jeux mobiles destinés aux enfants et aux adolescents sont souvent perçus comme des divertissements inoffensifs. Pourtant, derrière leurs couleurs vives et leurs personnages attachants se cachent des mécanismes qui peuvent s’avérer nocifs pour le développement des jeunes utilisateurs.
Maude Bonenfant, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en jeu, technologies et société, tire la sonnette d’alarme. «Nos jeunes ne sont pas suffisamment protégés, ils jouent à des jeux utilisant des mécaniques pernicieuses s’apparentant aux jeux de hasard et d’argent, et celles-ci sont délétères pour leur développement», affirme-t-elle dans une nouvelle publiée par l’UQÀM.
L’un des principaux problèmes est la «gamblification» des jeux mobiles. Les enfants sont exposés à des mécaniques de jeu qui imitent les jeux de hasard, comme les roues de fortune et les coffres à butin. Ces mécanismes exploitent les vulnérabilités des enfants en utilisant des biais cognitifs, comme la quasi-victoire ou le FOMO (peur de manquer quelque chose).
«Les enfants sont encore en apprentissage de l’autorégulation, ils sont impulsifs et pas suffisamment matures pour déceler et comprendre les mécanismes à l’œuvre», déplore Maude Bonenfant. «La mécanique qui revient souvent est de mettre en vente des coffres à butin : c’est le principe même des cartes de loterie à gratter !»
La gratuité a un coût
La plupart des jeux mobiles pour enfants sont gratuits, mais ils utilisent des stratégies de monétisation pour générer des profits. La publicité, les micro-transactions et la collecte de données personnelles sont les principaux mécanismes utilisés.
Pour encourager les jeunes à rester connectés et à consommer dans les boutiques virtuelles, les développeurs utilisent des techniques de design persuasif, comme les incitatifs comportementaux et les algorithmes prédictifs.
«Il y a des incitatifs comportementaux qui mettent de la pression pour consommer dans les boutiques virtuelles de ces jeux», explique Maude Bonenfant. «On offre un cadeau gratuit ou on annonce qu’un item sera en vente à 50% dans la prochaine heure. On utilise aussi le truc de la boutique rotative en changeant souvent les items pour inciter le joueur à y revenir fréquemment.»
L’industrie du jeu vidéo a elle-même créé la classification régissant les jeux. Cependant, la classification «Early Childhood» a été abolie en 2018. Désormais, tous les jeux mobiles pour enfants sont classés pour tous, les conditions d’utilisation étant celles qui s’appliquent à partir de 13 ans et plus.
«Les enfants nord-américains de 12 ans et moins qui jouent à des jeux mobiles ne sont pas protégés», souligne Maude Bonenfant.
Maude Bonenfant a présenté un mémoire à la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes. Elle propose six recommandations concrètes, faciles à implémenter par les décideurs politiques, pour mieux protéger les enfants.
Parmi ces recommandations, on retrouve la création d’une instance indépendante de classification des jeux et plateformes pour enfants, la création d’une classification qui tienne compte du contenu, de l’interactivité et des mécaniques des jeux, et l’encadrement législatif des interfaces truquées et des incitatifs comportementaux.«Il est impératif d’enchâsser la protection de l’enfant dans le design des jeux mobiles», insiste Maude Bonenfant.